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Focus sur : "Arrêter les herbicides c'est apprendre à tolérer l'herbe", retours d’expériences de viticulteurs

Viticulture Vigne
Désherbage mécanique/thermique
Fertilité et vie des sols
Gestion paysagère
Stratégie de couverture du sol
Travail du sol simplifié/non labour
Année de publication 2022
  (mis à jour le 26 avr 2023)

Arrêter les herbicides sous le rang, dernière zone d'application dans les parcelles de vigne, soulève, en plus des questions techniques, économiques et organisationnelles, une question plus personnelle qui est le regard que chacun porte sur l’herbe. Elle est culturellement considérée comme mauvaise, sale et concurrentielle. « Une vigne bien travaillée est une vigne propre ». Cette phrase souvent prononcée au vignoble est une des raisons qui explique l’engouement du travail mécanique comme 1ère alternative au désherbage chimique en France. Pour autant certains viticulteurs, lassés d'être envahis par les mauvaises herbes ou freinés par les taux de mortalités élevés dus aux passages des outils inter-ceps, se lancent vers les couverts sous le rang. Mais le challenge à relever pour eux est de réussir à compenser la concurrence en eau et en azote de l'herbe.


Cet état des lieux est celui des viticulteurs des deux groupes DEPHY FERME, Est et Sud Gironde/ Lot & Garonne, animés par la Chambre d’Agriculture de la Gironde. Chacun des 2 groupes travaille la question depuis 2016. A travers cet article nous partageons deux témoignages complémentaires de viticulteurs et présentons les projets des 2 groupes pour la période 2022-2026.

"Arrêter les herbicides c'est apprendre à tolérer l'herbe."

Bernard Gorioux, viticulteur de l'Entre-Deux-Mers (FERME DEPHY Est Gironde)

Le groupe FERME DEPHY SUD Gironde - Lot et Garonne s’est rapidement tourné vers le sujet de l’alternative au désherbage chimique, lorsque ses membres ont vu la pression réglementaire sur l’utilisation du glyphosate s’alourdir. Beaucoup de viticulteurs se sont alors demandés comment réduire, voire comment arrêter totalement d’utiliser des désherbants chimiques. La première voie utilisée, traditionnelle, est celle du travail mécanique sous le rang. Découvrez ci-dessous le témoignage de Thomas Fonteyreaud.

Thomas Fonteyreaud, les premiers débuts sans herbicide
Désherbeuse mécanique intercep (Multiclean de Clemens)
Désherbeuse mécanique intercep (Multiclean de Clemens)

Thomas Fonteyreaud est le 4ème viticulteur à reprendre l’exploitation familiale. Son exploitation fait une 20aine d’hectares, répartie sur plusieurs communes proches les unes des autres. Elle possède un modèle économique un peu atypique, puisque pour 20 ha, il emploie 2 salariés à temps plein, ce qui est un avantage pour se dégager du temps et entreprendre des nouveaux travaux, mais ce qui est également couteux. Son chiffre d’affaire diminuant, Thomas décide de se lancer dans ce qu’il désire depuis longtemps : passer en agriculture biologique. Et son principal défi pour lui est l’arrêt total des désherbages chimiques.

Il décide d’y aller petit à petit. En 2018, il réalise son dernier passage de glyphosate au printemps. En parallèle, il investit dans du matériel d’entretien sous le rang avec l’achat d’un rotofil intercep Clemens (multiclean) qu’il utilisera le reste de l’année pour entretenir sous le cavaillon. Satisfait de cette expérience, il renouvèle cet itinéraire en 2019 : 2 passages de multiclean entre avril et juillet sans travailler dans les inter-rangs. Il continue également son investissement dans du matériel de sol car il sait qu’il faut avoir plusieurs outils pour gérer sous le cavaillon. Il s’équipe donc de lames et de disques émotteurs qui arriveront tard en saison.

Le bilan de 2019 est plus mitigé : après deux années sans une goutte de chimique, la nature reprend ses droits et malgré l’utilisation du rotofil, il fait face à l’apparition d’herbe sous son rang. Deuxième peine : l’enherbement naturel de tous ces inter-rangs commence déjà à faire diminuer la vigueur de ses vignes.
Il sait qu’il doit réintroduire du travail du sol mais il ne souhaite pas réaliser les traditionnelles « quatre façons » bordelaises qui, selon lui, ne sont pas adaptées à son système de production : chronophages et demandant de nombreux passages (impacts économiques).

En 2020, il décide de faire un mixte entre travail et enherbement sous et entre les rangs : il réintroduit le travail entre les rangs, un rang sur deux (3 passages au total de disques alternés de griffes). Sous le cavaillon, il choisit de travailler en passant ses différents outils un inter rang sur deux : il se retrouve donc à avoir des vignes travaillées sur un demi-cavaillon chacune. Cela lui permet de gagner du temps et des passages. Il réalise alors un passage de disques émotteurs début avril, puis un premier passage de lames en mai et un second début juillet. A l’automne il chausse ses vignes pour les préparer au printemps suivant.

Gestion des sols de Thomas Fonteyreaud en 2020
Gestion des sols de Thomas Fonteyreaud en 2020

 

Il n’est pas pour autant fâché avec l’herbe. Et il souhaite même trouver un compromis pour la réintroduire. Ses vignes sont parfois en pente et il voit bien l’impact du travail du sol sur l’érosion. Alors, après avoir préparé son sol (passages de griffes et de herse), il sème des engrais verts au l’automne 2020 un inter rang sur deux. Sa volonté est que cet inter rang se ressème naturellement au printemps. Il ne détruit donc pas le couvert mais le laisse se ressemer. A l’automne 2021 il sème le second inter-rang qui était jusqu’ici enherbé naturellement.
La campagne 2022 sera pour lui un bilan de cette stratégie « engrais verts » utilisée et lui permettra aussi de se conforter dans sa stratégie de travail un demi-cavaillon.

Fabien Tarascon, 15 ans d'alliance avec l'herbe sous le rang

A l’image de Thomas Fonteyreaud, les viticulteurs du groupe FERME DEPHY EST Gironde ont, au cours de ces 5 dernières années, peu à peu fait évoluer leur regard sur l’herbe. L’un d’entre eux, Bernard Gorioux, dit qu’arrêter les herbicides c’est apprendre à tolérer l’herbe. Après 5 années de travail du sol à tester des décavaillonneuses, des lames, des disques émotteurs, des étoiles kress, etc… le groupe constate que l’entretien mécanique du cavaillon a ses limites : la taille des vignobles, le nombre de tractoristes, le type de sol ou encore la concurrence des chantiers en juin… Il ne peut satisfaire toutes les situations.

Face à ce constat, le groupe a décidé pour la période 2022 - 2026 de travailler des alternatives complémentaires au travail mécanique : l’implantation de couverts végétaux sous le rang (permanent, temporaire, semé, naturels, etc…). Il pourra s’appuyer sur plusieurs expériences, dont celle en interne de Fabien Tarascon qui arrive à s’en faire une alliée depuis 2008. Découvrez ci-dessous son témoignage.

 

Tout a commencé il y a 20 ans. L’appellation Côtes du Marmandais et la cave coopérative où l’exploitation familiale vendait ses raisins traversaient une grande crise économique. Le modèle de production était arrivé à son terme. En choisissant de s’installer, d’abord à mi-temps, puis à temps plein, Fabien Tarascon a étendu ses activités : « Et pour cela il fallait revoir également la logique qualitative de production de la vigne qui avait des rendements élevés, des maturités pas optimales. Cela impliquait de revoir à la fois le mode de transformation avec des investissements très lourds, des réorganisations en terme de main d’œuvre car il fallait développer un pan commerciale qui n’était pas du tout développé, sur une appellation Côtes du Marmandais qui est très peu connue. »

Gestion des sols par Fabien Tarascon depuis 2008
Gestion des sols par Fabien Tarascon depuis 2008

En 2008 il choisit de conduire son vignoble de manière originale, inspiré des grandes cultures. Originale car les sols sont totalement recouverts par l’herbe. Fabien Tarascon combine l’enherbement permanent semé sous le rang (fétuque rouge semi-traçante, fétuque ovine, lupin), l’enherbement permanent naturel un inter-rang sur deux et les engrais verts hivernaux sur les autres inter-rangs (avoine & féverole). Il sort les disques et le rotavator uniquement pour les semis d’automne, après les vendanges.

Il tient cette conduite du mouvement des Techniques Culturales Simplifiées (TCS) en grandes cultures et particulièrement de son savoir-faire en tant que céréalier. « Sur les terres que j’ai en rotation, j’ai généralisé ce type de couverts bien avant de le faire sur la vigne. J’avais pu éprouver l’adaptation de l’avoine et de la féverole à ces terrains-là. »
Ce choix il l’a fait ni par philosophie, ni par croyance mais après avoir posé lui-même le diagnostic : « Sur des vignes âgées qui avaient 50 ans, qui avaient un tissu racinaire en surface, il était inenvisageable pour moi de travailler les sols, sous le rang notamment, pour ne pas casser le système racinaire (et risquer des pertes de rendements). Avec des sols qui étaient compactés, battants, on est sur des terrasses de la Garonne donc des sols limoneux, il y avait également un risque de perte de vitalité de la vigne. »

Itinéraire Technique de gestion des sols de Fabien Tarascon
Itinéraire Technique de gestion des sols de Fabien Tarascon

Ce changement radical de son vignoble s’est fait par étapes. Avant de reprendre l’exploitation, les vignes étaient conduites pour produire du raisin. Les objectifs de production étaient classiques pour l’époque : 90 hl/ha. Les sols étaient désherbés chimiquement et enherbés dans les inter-rangs, des engrais minéraux été apportés tous les ans, les maladies (mildiou, oïdium, botrytis) et la cicadelle de la flavescence dorée étaient gérés par des produits phytosanitaires de synthèse.

« J’ai commencé par petites touches. C’est-à-dire que j’ai enherbé les inter-rangs puis sous le rang. La problématique de l’enherbement c’est qu’il y a un garde manger, que vont se batailler à la fois la vigne et l’herbe. Et donc on peut avoir des problèmes de limitation de vigueur, de compaction des sols. Il a fallu trouver d’autres palliatifs. » Ces palliatifs sont le semis d’engrais verts et des apports d’engrais organiques tous les ans (10 à 20 unités d’azote) pour compenser la consommation en éléments minéraux par l’herbe ou encore un décompactage un inter-rang sur deux pour renforcer l’action des engrais verts.

Fabien Tarascon est aujourd’hui satisfait de sa stratégie. Les objectifs sont atteints. Il a réussi à baisser la vigueur de ses vignes à un niveau normal, tout en produisant les rendements souhaités (50 – 55 hl/ha). Sa gestion des sols lui a permis d’obtenir des sols aérés, mieux fournis en matières organiques et fertiles.

Comparaison des mottes de terre : inter-rang engrais verts à gauche, inter-rang avec enherbement permanent à droite (avril 2015)
Comparaison des mottes de terre : inter-rang engrais verts à gauche, inter-rang avec enherbement permanent à droite (avril 2015)

«  Il y a beaucoup plus de vers de terre en surface. J’ai une épaisseur de sol sombre qui est plus importante. C’est plus grumeleux alors qu’avant, avec des boulbènes, c’était plus compact. Et ces effets je les vois sur la vigne. J’ai l’impression que la vigne a plus de vitalité. Le démarrage au printemps notamment. Le sol doit se réchauffer plus rapidement. Il y a moins de périodes où elle végète, ne pousse pas. J’ai l’impression qu’elle démarre plus vite, qu’elle est plus énergique ».

Il note également des changements sur ses vins. « L’azote assimilable est plus élevé. Je fais beaucoup moins d’apports de nutriments correcteurs. Avant j’avais toujours 2-3 parcelles où il fallait corriger. »

Vers quoi s'orientent les viticulteurs des 2 groupes pour la suite ?

Pour la période 2022 - 2026, les deux groupes ont pour point commun de vouloir continuer à échanger sur leurs pratiques de gestion des sols et s’améliorer individuellement. Les questions qui les préoccupent sont :

  • Comment se passer d’herbicide?
  • Comment améliorer la fertilité des sols ?
  • Ou encore comment optimiser son organisation dans un souci commun de produire suffisamment ?

Pour faciliter les échanges et prendre du recul sur l’évolution des pratiques, les viticulteurs choisissent de suivre chacun une parcelle dite « parcelle référence ». En s’appuyant sur ces parcelles, ils pourront relever les interventions qu’ils réalisent tout au long de l’année et évaluer leur impact sur la présence de l’herbe, la vigueur et le rendement de la vigne et le sol (matière organique, compaction, pH …). Il ne s’agit pas d’expérimentation en tant que telle, mais d’un suivi basé sur des observations et des outils simples et facilement disponibles comme des analyses de sols, des tests bèches ou encore la méthode MERCI. Il permettra à chacun et aux deux groupes de prendre du recul sur leurs chargements de pratiques.


En complément de ce travail, le groupe FERME DEPHY EST Gironde souhaite réfléchir collectivement et planter en 2023 deux parcelles (vignes étroites et vignes larges) destinées à introduire des couverts végétaux sous le rang à moyen terme. L’idée est de pouvoir jouer sur d’autres pratiques pour compenser la concurrence de l’herbe sous le rang comme le choix de porte-greffe plus vigoureux, les écartements, la hauteur de palissage ou les apports de fumure en amont.

Article rédigé par :

Marion ENARD, Ingénieure Réseau FERME DEPHY Sud Gironde & Lot et Garonne

Aurélie VINCENT, Ingénieure Réseau FERME DEPHY Est Gironde

 

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Aurélie Vincent
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