Lutte contre les mouches des fruits : l’innovation en action à La Réunion

Dans les zones tropicales, les mouches des fruits représentent une menace majeure pour les cultures fruitières et légumières. À La Réunion, ces ravageurs provoquent des pertes importantes, compromettant non seulement les récoltes locales mais aussi leur qualité, au point de freiner leur exportation. L’Unité Mixte Technologique Biocontrôle en Agriculture Tropicale (UMT BAT) s’attelle à relever ce défi en développant des solutions de biocontrôle adaptées au contexte réunionnais.
En septembre 2022, l’UMT BAT a organisé une journée de restitution pour présenter les dernières avancées en matière de lutte contre ces nuisibles. Huit présentations ont permis de faire le point sur des projets ambitieux qui mobilisent chercheurs et agriculteurs autour d’une cause commune : protéger durablement les cultures tout en respectant l’environnement. Ces interventions ont abordé des thématiques variées :
- l’évaluation des pratiques de lutte contre Bactrocera dorsalis à Grand Fond,
- les travaux de bioécologie et les premiers lâchers d’insectes stériles,
- la cartographie des plantes hôtes,
- la modélisation mathématique pour optimiser la Technique de l'Insecte Stérile,
- la gestion des petites mangues lors de l’auto-éclaircissage naturel,
- l’évaluation de pièges et d’attractifs naturels,
- la recherche de nouveaux attractifs via l’écologie chimique,
- l’utilisation de champignons entomopathogènes pour lutter contre les mouches des fruits.
Ce dossier vous propose une revue des différentes innovations pour lutter contre les mouches des fruits à La Réunion.
La TIS : une innovation prometteuse pour Bactrocera dorsalis
Face à la prolifération de Bactrocera dorsalis, une des mouches des fruits les plus invasives, une solution de pointe est en développement : la Technique de l’Insecte Stérile (TIS). Ce procédé consiste à libérer des mâles stériles dans l’environnement pour réduire la reproduction des populations résidentes.
Pour garantir le succès de cette méthode à La Réunion, plusieurs études préliminaires (cf. Présentations de 1 à 4) ont été menées :
- Une enquête auprès des producteurs de mangues dans le bassin de Grand Fond, afin de recueillir des données sur leurs pratiques et leur perception de la TIS (INRAE).
- Des travaux de bioécologie, portant sur la dispersion des mâles stériles, leur compétitivité et la caractérisation des plantes hôtes (Cirad).
- Une cartographie des plantes hôtes, afin d’identifier les zones à risque et optimiser les lieux de lâcher (Cirad).
- Des simulations basées sur des modèles mathématiques, pour anticiper les résultats de cette stratégie et définir les conditions nécessaires à son application réussie (Cirad).
Ces travaux mobilisant chercheurs et acteurs de terrain constituent une étape clé pour poser les bases scientifiques de la mise en œuvre de la TIS sur l’île.
Les études préliminaires ont mis en évidence des pertes significatives liées à Bactrocera dorsalis (jusqu’à 70 %), mais une amélioration récente grâce aux pratiques mises en place (prophylaxie, piégeage). Les producteurs, bien qu’ayant adapté leurs stratégies, restent fortement impactés et montrent un intérêt marqué pour la TIS, perçue comme une solution complémentaire prometteuse. Trois profils de gestion se dégagent selon les moyens disponibles et la diversification des exploitations. Les zones à risque ont été identifiées grâce à la cartographie fine des vergers et des plantes hôtes, y compris dans les haies et jardins créoles, servant à calibrer les zones de lâchers. Les conditions de réussite reposent sur la compétitivité des mâles stériles, leur dispersion, la faible fertilité résiduelle, et surtout une coordination entre les acteurs. Les travaux se poursuivent via le projet AttracTIS, lancé en 2023, avec des lâchers opérationnels de mâles stériles envisagés après les phases d’ajustement et de modélisation.



Biocontrôle et prophylaxie : des solutions complémentaires en action
Outre la Technique de l'Insecte Stérile, d’autres pistes de biocontrôle et de prophylaxie sont explorées pour limiter l’impact des mouches des fruits sur les cultures réunionnaises.
Parmi elles :
- Les petites mangues, un levier sous-estimé (Présentation N°5) : Lors de l’auto-éclaircissage naturel des manguiers, les petites mangues tombées au sol peuvent devenir un réservoir d’infestation. Une étude menée par le Cirad explore le rôle de la couverture du sol et de la gestion de ces fruits pour limiter cette menace. L’étude montre que les petites mangues tombées au sol sont les plus infestées par les mouches des fruits, l’infestation débutant au moment de l’abscission. Il est donc recommandé de ramasser les fruits uniquement après leur chute (avec un rouleau ramasse-noix). L’utilisation d’une bâche tissée, bien que variable en efficacité selon les conditions, empêche les larves de poursuivre leur cycle dans le sol. Enfin, maintenir un enherbement haut durant la floraison puis le faucher au moment de l’auto-éclaircissage facilite le ramassage des fruits tout en conservant les auxiliaires.
- Pièges et attractifs naturels (Présentation N°6) : Dans un objectif de remplacement des attractifs synthétiques, des substances naturelles ont été testées sur le terrain par l’Armeflhor. Certaines pourraient même être fabriquées directement par les agriculteurs, rendant cette solution plus accessible. Lors d’un premier essai, le phosphate diammonique s’est révélé être l’attractif le plus efficace, avec un piégeage maximal de 25 mouches par semaine, dépassant largement la référence (FLYRAL). Dans un second essai, deux attractifs à base de basilic sacré ont montré une efficacité proche de celle du méthyl-eugénol, substance très attractive mais toxique, confirmant ainsi leur potentiel en tant qu’alternatives naturelles. Par ailleurs, différentes combinaisons de méthodes (application de kaolinite, appâts couplés à un insecticide, attractifs en piège) ont permis de réduire significativement le taux de fruits piqués en verger de mangue. Ces résultats encouragent la poursuite des essais pour valider et affiner ces stratégies combinées, plus durables et adaptées à une production agricole raisonnée.
- Attractifs basés sur l’écologie chimique (Présentation N°7) : En combinant des analyses olfactives et des tests comportementaux, des chercheurs ont identifié des composés spécifiques, comme des kairomones et phéromones, capables d’améliorer le piégeage de masse.
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Augmentorium, un outil de prophylaxie déployé sur l’île : L'augmentorium est une structure agroécologique utilisée à La Réunion pour lutter contre les mouches des fruits. Il s'agit d'un dispositif fermé, souvent recouvert d'un filet à mailles fines (~2 mm), permettant de confiner les fruits infestés tout en favorisant la sortie des insectes auxiliaires tels que les microguêpes parasitoïdes (Fopius arisanus), qui parasitent les œufs et larves des mouches. Cette méthode permet de réduire la population de mouches tout en préservant les insectes bénéfiques. La Chambre d'agriculture de La Réunion recommande cette technique dans le cadre de la prophylaxie et ont mis en œuvre des ateliers de co-construction d’augmentoriums et ont rendu disponibles des guide de confection de différents modèles.
Des champignons pour combattre les mouches des fruits
Une autre approche originale explore l’utilisation des champignons entomopathogènes comme arme biologique contre les mouches des fruits.
Ces microorganismes, qui infectent et tuent les insectes, pourraient constituer une alternative efficace et respectueuse de l’environnement. Des essais menés avec des souches de champignons du genre Beauveria ont confirmé leur pathogénicité sur les mouches des fruits. Deux méthodes d’application, testées en laboratoire et sur le terrain, ouvrent de nouvelles perspectives pour intégrer ces champignons dans une stratégie de biocontrôle.
Les champignons entomopathogènes, comme Beauveria bassiana et B. hoplocheli (Betel), montrent un fort potentiel pour lutter biologiquement contre les mouches des fruits. Deux stratégies ont été testées : l’auto-dissémination via des pièges à mâles contaminés, efficace seulement dans les premières heures, et le traitement du sol, visant les larves en phase tellurique. Cette dernière a montré une réduction significative de l’émergence des adultes en laboratoire et sur le terrain, mais nécessite encore des ajustements pour être économiquement viable.
Le projet AttractMyFly a permis de poursuivre ses travaux par le développement d’un dispositif d’auto-contamination-dissémination : il attire les mâles avec une paraphéromone (cue-lure), les contamine avec des spores de Beauveria, puis les laisse ressortir pour transmettre le champignon aux femelles lors de l’accouplement. Ce système innovant, validé en laboratoire, a démontré son efficacité dans les premières heures suivant la contamination, et pourrait être adapté à d’autres espèces cibles, sous réserve d’évaluations en conditions réelles.
L’avenir du biocontrôle à La Réunion
Les perspectives pour la lutte contre les mouches des fruits à La Réunion s’annoncent prometteuses grâce aux approches innovantes développées dans le cadre de l’UMT BAT. La technique de l’insecte stérile (TIS) entre dans une phase structurante en vue d’un déploiement opérationnel sur le territoire, avec pour objectif une réduction durable des populations. Parallèlement, le développement d’un laboratoire d’écologie chimique permet d’identifier de nouveaux attractifs en analysant finement les réponses olfactives des mouches, enrichissant les outils de surveillance et de piégeage. Le partenariat se poursuivra avec l’évaluation de ces nouveaux leviers, seuls ou combinés à ceux déjà développés, en laboratoire et au champ.